Originaire de Montréal, la photographe et cinéaste Louise Abbott est arrivée au port d’Harrington Harbour en septembre 1982, au lever du soleil. « La première chose que j’ai photographiée, c’était le portrait d’un garçon avec qui j’avais parlé », se remémore-t-elle. Fascinée par les histoires locales après un premier contact avec des résidents anglophones de la Basse-Côte-Nord en tant que recherchiste pour CBC, elle venait d’obtenir une bourse du Conseil des Arts du Canada pour documenter la vie et les traditions de la région.
Publié en 1988, The Coast Way (McGill-Queen’s University Press) dépeint le quotidien des résidents de différents villages de la côte. Il s’agit d’un témoignage historique important, puisque Louise Abbott avait à l’époque pu documenter les changements majeurs que connaissait alors la région, à travers des entrevues et des photographies.
« Le début de la télévision, c’était vraiment le début des changements, explique l’artiste multidisciplinaire en entrevue, « avec l’arrivée des skidoos aussi », précise-t-elle. La Basse-Côte-Nord avait en effet été connectée au réseau électrique dix ans auparavant, au début des années 1970. Les téléviseurs qui faisaient graduellement leur apparition, résonnaient dans les salons le soir, tandis que les motoneiges remplaçaient les attelages de chiens l’hiver.
Dans ce livre, Louise Abbott rapporte les propos d’un homme de Saint-Augustin, Jack Bursey, qui affirme ainsi avoir « vécu dans deux mondes » :
« La première nuit », se souvient Jack Bursey, « j’ai allumé toutes les lumières de la maison et je les ai laissées allumées pour m’asseoir et regarder. J’étais tellement content d’avoir l’électricité. Oui, je n’oublierai jamais. Oh, mon Dieu, ça a beaucoup changé après l’arrivée de l’électricité. »
Jack Bursey de Saint-Augustin, cité par Louise Abbott dans The Coast Way (1988, p.116, traduction)
Devant cette société en transition, Louise Abbott a souhaité conserver les témoignages de celles et ceux qui avaient vécu le temps d’avant, et décrire l’impact de ces innovations qui gagnaient la côte sur le mode de vie et les relations sociales.
La photographe a pu capter les savoir-faire des communautés de pêcheurs, dix ans avant le moratoire sur la pêche à la morue décrété en 1992 — le séchage de la morue, notamment — avant qu’ils ne disparaissent.
Quarante ans plus tard, à l’été 2022, Louise Abbott est revenue à Rivière-Saint-Paul avec son mari Niels Jensen pour travailler avec Garland Nadeau, du Musée Whiteley. Cette collaboration a été l’occasion de retisser des liens anciens, puisque M. Nadeau avait été son guide lors de ses recherches sur le terrain pour son premier livre.
Durant l’été, Louise Abbott a mené des entrevues filmées auprès d’aînés sur les traditions de la transhumance et sur l’histoire de la vie sur les îles à l’époque. Grâce à un financement de la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent, elle a pu produire une série de courts documentaires, In Their Own Voices : Stories and Songs from St. Paul’s River et une carte interactive pour le Musée Whiteley, ainsi qu’un documentaire plus long, St. Paul’s River: The Once and Future Village, grâce au concours du Quebec Anglophone Heritage Network (QAHN) et du Secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise.
Elle finalise aussi présentement un second ouvrage bilingue qui se concentre sur l’histoire des îles situées dans l’archipel de Blanc-Sablon et de Vieux-Fort. Islands of History, Des Îles chargées d’histoires, paraîtra en 2025.
En revenant dans ces villages, quarante ans après son premier séjour, Louise Abbott peut attester par son travail des transformations qu’ont connues les communautés du littoral. Maillant ses photographies dépeignant le début des années 1980 et son travail récent réalisé avec Niels Jensen lors de leurs séjours en 2022 et 2023 en Basse-Côte-Nord, une exposition intitulée The Coast Way, Past and Present sera présentée du 18 juillet au 3 août à la galerie d’art Le Vieux Forgeron de Stanstead, dans les Cantons de l’Est.
Si beaucoup de choses ont changé sur la Basse-Côte-Nord, plusieurs efforts sont déployés par les gens et les institutions pour garder vivante la culture de la région, écrivait Louise Abbott, en conclusion de son livre en 1988. Le Musée Whiteley n’en est qu’un exemple aujourd’hui encore.
Et comme le disait Eric Anderson, un travailleur de l’usine de transformation de La Tabatière interviewé par la photographe au début des années 1980:
« Les villages deviennent plus modernes, mais je pense que nous conserverons toujours le mode de vie de la côte »
Eric Anderson de La Tabatière, cité par Louise Abbott dans The Coast Way (1988, p. 126, traduction)